Au 1er trimestre 2016, le Conseil d’Etat avait déjà solennellement étendu le contrôle du juge administratif aux actes de l’administration qui ne constituent pas à proprement parler des décisions, actes autrement qualifiés sous le vocable de « droit souple » (CE, Ass., 21 mars 2016, Fairvesta international GMBH et Numericable, note Louis Dutheillet de Lamothe et Guillaume Odinet, AJDA 2016.717 ; note Fabrice Melleray, RFDA 2016, p.679). C’est ainsi que le Conseil d’Etat avait jugé recevable le recours dirigé contre un simple communiqué de l’Autorité des Marchés Financiers parce que cet acte était « de nature à produire des effets économiques notables et comme ayant pour objet de conduire des investisseurs à modifier de manière significative leur comportement vis-à-vis des produits qu’ils désignent« .
Par un nouvel arrêt du 2 décembre 2016, le Conseil d’Etat poursuit cette oeuvre d’extension et admet désormais comme recevable un recours dirigé contre un rescrit fiscal, c’est à dire contre la position prise par l’administration fiscale, à la demande d’un contribuable, sur l’application d’un régime fiscal donné.
En l’espèce, était en cause la qualification ou non de « livre » à accorder à un produit d’édition et, partant, l’application ou non du taux de TVA réduit à 5,5 %. La Cour administrative d’appel de Paris avait relevé qu’il s’agissait d’ensembles imprimés et brochés contenant des articles traitant de manière approfondie de sujets d’ordre historique, géographique, culturel, scientifique et médical en relation, pour chacun d’eux, avec le thème de la revue, c’est-à-dire, selon les cas, le mystère, les mythes et les légendes, le Moyen-âge, l’histoire des religions et des mythes, la seconde guerre mondiale, les religions, les croyances et les énigmes historiques, les extra-terrestres, le sacré et les religions et les énigmes historiques et avait donc estimé qu’ils constituaient chacun un ensemble homogène comportant un apport intellectuel pouvant recevoir la qualification de livre.
Avant d’apprécier, puis, en l’espèce, de valider le raisonnement de la juridiction de fond, le Conseil d’Etat devait d’abord se prononcer sur la recevabilité de la requête, qui devait le conduire à statuer sur la légalité d’un rescrit fiscal.
Le rescrit fiscal présentait un caractère déterminant dans le cadre de la commercialisation des ouvrages et notamment de la fixation du prix de vente. Le Conseil d’Etat a en effet relevé que « en grevant substantiellement leur prix de vente, l’application aux revues éditées par la société Export Press du taux normal de la taxe sur la valeur ajoutée de 19,60 % était, compte tenu de la structure du marché concerné et de l’écart entre ce taux et le taux réduit de 5,50 %, de nature à pénaliser significativement ses ventes, sans possibilité pour elle, au demeurant, dans le cas où le juge de l’impôt ferait ultérieurement droit à sa thèse, d’obtenir le remboursement de l’excédent de taxe collectée et supportée en définitive par les consommateurs finaux »
Aussi, à la différence d’autres prélèvements obligatoires, la TVA s’applique à un produit mais est réglée par le consommateur, ce qui prive d’effet la contestation de son montant, qui ne peut pas donner lieu, comme pour d’autres contributions, à un éventuel remboursement de l’impôt par l’administration fiscale. Il faut donc connaître précisément le régime fiscal avant la commercialisation.
Le juge de l’impôt a d’abord considéré que : « une prise de position formelle de l’administration sur une situation de fait au regard d’un texte fiscal en réponse à une demande présentée par un contribuable a (…) eu égard aux effets qu’elle est susceptible d’avoir pour le contribuable et, le cas échéant, pour les tiers intéressés, le caractère d’une décision. » Il a pousuivi en jugeant : » Toutefois, cette voie de droit est ouverte lorsque la prise de position de l’administration, à supposer que le contribuable s’y conforme, entraînerait des effets notables autres que fiscaux et qu’ainsi, la voie du recours de plein contentieux devant le juge de l’impôt ne lui permettrait pas d’obtenir un résultat équivalent. Il en va ainsi, notamment, lorsque le fait de se conformer à la prise de position de l’administration aurait pour effet, en pratique, de faire peser sur le contribuable de lourdes sujétions, de le pénaliser significativement sur le plan économique ou encore de le faire renoncer à un projet important pour lui ou de l’amener à modifier substantiellement un tel projet » (CE, Sect., 2 décembre 2016, Ministre des finances et des comptes publics c. Société Export press, n°387613)
C’est donc en raison essentiellement des effets que peut avoir un acte de l’administration sur la situation d’un administré que le Conseil d’Etat apprécie la nécessité d’ouvrir ou non le contrôle du juge administratif sur la légalité de cet acte. Malgré l’apparence technique de ce débat, l’administré trouvera dans cette jurisprudence une garantie supplémentaire dans la faculté renforcée de faire valoir ses droits et d’accéder au juge de l’excès de pouvoir, ce qui constitue, il faut le rappeler, un principe général du droit (CE, Ass. 17 février 1950, Ministre de l’Agriculture c. Dame Lamotte, Lebon 110, RD publ. 1951. 478, concl. Jean Delvolvé, note M. Waline, GAJA 19e éd., no60).