Le 19 juin 2012, le Maire de la Commune de Chartres avait refusé de publier, dans l’espace du bulletin municipal réservé à l’opposition, la tribune libre de l’un des groupes d’opposition représentés au conseil municipal.
Le maire n’a, en principe, aucun droit de regard sur le texte à publier. En effet, la liberté d’expression de l’opposition est consacrée par la loi. L’article L. 2121-27-1 du code général des collectivités territoriales dispose : « Dans les communes de 3 500 habitants et plus, lorsque la commune diffuse, sous quelque forme que ce soit, un bulletin d’information générale sur les réalisations et la gestion du conseil municipal, un espace est réservé à l’expression des conseillers n’appartenant pas à la majorité municipale »
Mais, par ailleurs, une autre loi confère au directeur de la publication de tout support de presse, tel que le bulletin municipal, une responsabilité pénale, identique à celle de l’auteur des articles qui y sont publiés. Il s’agit de l’article 42 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Et l’article 29 de cette même loi prohibe notamment la diffamation et l’injure.
Par la combinaison de ces deux textes, le maire est donc susceptible d’être pénalement sanctionné, au même titre que leurs auteurs, à raison d’un article injurieux ou diffammant, librement publié par l’opposition.
Se pose alors la question existentielle suivante : la liberté de l’opposition est-elle absolue ou le maire est-il en droit de la limiter en cas de propos injurieux ou diffammant ? Dans le premier cas, le maire prêtera la main à sa propre condamnation pénale, en tant que directeur de publication. Dans l’autre cas, il s’érigera en interprète de ce qui relève ou non de la diffamation ou de l’injure, alors que cette compétence est normalement exercée par le tribunal correctionnel. Il deviendra d’une certaine façon le censeur de la libre expression de son opposition. Il exposera ainsi sa décision de refus à la censure du juge administratif. Alors que faire ?
La réponse est apportée cette semaine par le Conseil d’Etat (CE, 20 mai 2016, Commune de Chartres, n°387144) qui déclare : « ni le conseil municipal ni le maire de la commune ne sauraient, en principe, contrôler le contenu des articles publiés, sous la responsabilité de leurs auteurs, dans cet espace ; qu’il en va toutefois autrement lorsqu’il ressort à l’évidence de son contenu qu’un tel article est de nature à engager la responsabilité pénale du directeur de la publication, notamment s’il présente un caractère manifestement outrageant, diffamatoire ou injurieux de nature à engager la responsabilité du maire, directeur de publication du bulletin municipal, sur le fondement des dispositions précitées de la loi du 29 juillet 1881 »
Il revient donc bien au maire d’interpréter la teneur des propos.
Et le Conseil d’Etat poursuit en contrôlant à son tour la décision de refus du maire de Chartres : « les auteurs de la tribune en cause y dénonçaient les conditions dans lesquelles le maire de Chartres aurait obtenu sa réélection à l’Assemblée nationale et faisaient part de leur crainte de voir des élus appartenant au Front national intégrer la prochaine équipe municipale ; que si cette tribune est rédigée sur un ton vif et polémique, la cour administrative d’appel de Nantes n’a pas inexactement qualifié les faits en jugeant qu’elle ne saurait pour autant être regardée comme présentant manifestement un caractère diffamatoire ou outrageant de nature à justifier qu’il soit fait obstacle au droit d’expression d’élus n’appartenant pas à la majorité municipale« .
Cette décision, pour pragmatique qu’elle soit, car elle permettra de régler un certain nombre de difficultés, n’en ouvre pas moins une potentielle difficulté, celle d’un nouveau « dialogue des juges » administratif et judiciaire. Admettons l’hypothèse où, comme en l’espèce, le refus de publication du maire est annulé. La tribune est publiée et, sur l’action des personnes se considérant injuriées ou diffamées, le juge pénal condamne l’auteur des propos et le directeur de la publication qu’est le maire. Ce dernier ne pourra pas opposer au juge pénal la décision d’annulation du juge administratif qui l’aura obligé à publier. Il n’y a plus qu’à espérer alors pour lui que le tribunal correctionnel, dans son délibéré, fasse preuve de clémence.