Dans un récent arrêt (CE, 12 septembre 2019, n°431698), le Conseil d’Etat vient de rappeler avec fermeté aux candidats à une élection municipale la rigueur dont ils doivent faire preuve dans le dépôt de leur compte de campagne auprès de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques. Cet arrêt a confirmé un jugement du Tribunal administratif de Montreuil, à la suite des élections municipales de Villemomble, les 25 novembre et 2 décembre 2018.
L’obligation de dépôt est fixée à l’article L.52-12 du Code électoral qui dispose :
« Au plus tard avant 18 heures le dixième vendredi suivant le premier tour de scrutin, chaque candidat ou candidat tête de liste présent au premier tour dépose à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques son compte de campagne et ses annexes accompagné des justificatifs de ses recettes, notamment d’une copie des contrats de prêts conclus en application de l’article L. 52-7-1 du présent code, ainsi que des factures, devis et autres documents de nature à établir le montant des dépenses payées ou engagées par le candidat ou pour son compte. Le compte de campagne est présenté par un membre de l’ordre des experts-comptables et des comptables agréés ; celui-ci met le compte de campagne en état d’examen et s’assure de la présence des pièces justificatives requises. »
L’article L.52-15 ajoute :
« Lorsque la commission a constaté que le compte de campagne n’a pas été déposé dans le délai prescrit, (…) la commission saisit le juge de l’élection. »
L’application de ces dispositions ne laisse place à aucune liberté d’appréciation.
Aussi, le Conseil d’Etat souligne-t-il que :
« le manquement à l’obligation de déposer un compte de campagne est constitué à la date à laquelle expire le délai imparti (…) pour procéder à ce dépôt, délai qui est impératif et ne peut être prorogé. »
Il en déduit que la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques est tenue, lorsqu’elle constate qu’un candidat n’a pas déposé son compte de campagne dans ce délai, de saisir le juge de l’élection.
Il relève ensuite de l’office du juge de vérifier si cette commission a constaté à bon droit le dépôt tardif du compte de campagne, d’une part, et de rechercher s’il y a lieu ou non de prononcer l’inéligibilité de ce candidat, d’autre part, et de tenir compte alors « de la nature de la règle méconnue, du caractère délibéré ou non du manquement, de l’existence éventuelle d’autres motifs d’irrégularité du compte, du montant des sommes en cause ainsi que de l’ensemble des circonstances de l’espèce ».
En l’espèce, l’ensemble de documents déposé auprès de la Commission des comptes de campagne ne comportait pas le document intitulé » Grand livre » et ne pouvait dès lors être regardé comme le compte de campagne exigé.
Restait à trancher la question de l’inéligibilité prévue par l’article L.118-3 du Code électoral, qui dispose :
« Saisi dans les mêmes conditions, le juge de l’élection peut prononcer l’inéligibilité du candidat (…) qui n’a pas déposé son compte de campagne dans les conditions et le délai prescrits à l’article L. 52-12. » Le Tribunal administratif de Montreuil avait prononcé une inéligibilité de quatre mois.
Pour confirmer cette inéligibilité, le Conseil a retenu que la méconnaissance d’une obligation substantielle justifiait cette mesure, eu égard notamment aux « très nombreuses années » d’exercice de mandats électifs par l’élu en question, et en dépit des circonstances suivantes qui étaient avérées :
- la bonne foi du candidat
- une erreur commise dans le décompte du délai
- l’inexpérience de son mandataire financier
- l’absence de toute autre irrégularité.
On peut ici se demander si une telle sévérité est juste. L’élément qui semble prédominer est bien la longévité du candidat, auquel le juge n’autorise donc aucune marge d’erreur, alors même qu’un document avait bien été déposé mais sans respecter les formes exigées d’un compte de campagne et alors même que la bonne foi du candidat n’était pas en cause.
Une telle sévérité n’aurait sans doute pas été appliquée à un candidat moins expérimenté.
Cet arrêt pose la question de l’égalité des candidats devant le scrutin au regard d’obligations exigeantes qui leur sont imposées et vis-à-vis desquelles l’expérience du candidat lui-même n’a, à notre sens, qu’une portée relative, dès lors que rien n’interdit à un candidat « vieux routier de la politique » de s’entourer d’un mandataire financier moins expérimenté. Pour autant, cette jurisprudence sanctionne plus volontiers le « vieux » candidat que le « jeune ». Il nous apparaît que, bien davantage que l’ancienneté du candidat, la bonne foi, la nature de la violation et l’existence objective d’autres motifs auraient dû prévaloir en l’espèce.