Au mois de juin 2015, une trentaine de jeunes migrants en errance s’étaient regroupés dans le jardin des Olieux à Lille, appartenant au domaine public de la Métropole européenne de Lille. Peu à peu, leur nombre avait atteit près de 140 personnes à l’été 2016.
Un camp de fortune s’est donc créé avec l’aide de riverains et de quelques associations, constitué de tentes basses montées sur des palettes en bois qui s’entassent les unes sur les autres et de mobiliers de récupération (tables et sièges divers) et d’une tente haute leur permettant de se protéger des intempéries.
La métropole avait saisi le juge des référés du Tribunal administratif de Lille d’une demande d’expulsion. L’occupation irrégulière était en effet établie. La requérante invoquait notamment l’absence d’infrastructure sanitaire et de point d’eau, l’entassement des ordures, le risque d’incendie et le risque de troubles à l’ordre public en raison de l’exaspération grandissante des riverains qui subissent des nuisances avérées.
Dans une ordonnance, dont l’équilibre repose sur une motivation particulièrement approfondie (TA Lille, Référés, 1er septembre 2016, Métropole européenne de Lille n°1606080), le juge des référés a d’abord retenu que les conditions sanitaires et de salubrité dans lesquelles vivent ces jeunes migrants étaient « déplorables ». Il a rappelé qu’il appartient aux autorités de l’Etat, sur le fondement des dispositions du Code de l’action sociale et des familles, de mettre en oeuvre le droit à l’hébergement d’urgence reconnu par la loi à toute personne sans abri qui se trouve en situation de détresse médicale, psychique ou sociale et qu’une carence caractérisée dans l’accomplissement de cette mission pouvait faire apparaître une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale lorsqu’elle entraîne des conséquences graves pour la personne intéressée. Il a encore regretté que l’Etat, le Département du Nord et la Ville de Lille se soient, depuis août 2015, malgré notamment les alertes réitérées du Défenseur des droits et les injonctions précédemment prononcées par le Tribunal administratif de Lille, abstenus d’intervenir et de proposer, même à titre très temporaire, des solutions d’hébergement, laissant ainsi la situation s’aggraver et contraignant les habitants d’un quartier et les associations à se substituer partiellement aux autorités « défaillantes ».
Tout en reconnaissant que la Métropole européenne de Lille n’était pas débitrice des obligations qui pèsent sur l’Etat en matière de gestion de la présence de migrants, le juge des référés a néanmoins suggéré qu’il était loisible à cette administration, comme à d’autres, d’intervenir tout à fait légalement et dans l’intérêt général et dans celui de ces jeunes en particulier, afin de leur éviter des traitements inhumains et dégradants prohibés par l’article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, à laquelle l’Etat français est partie, et décider d’intervenir, par la mise à disposition de terrains, moyens matériels ou financiers notamment, pour soutenir les autorités compétentes qui doivent faire face à une situation inédite et hors normes.
Et il a conclu ainsi : » le campement de fortune du jardin des Olieux constitue pour ses occupants le seul abri dont ils disposent aujourd’hui ; qu’en l’absence de toute solution de relogement annoncée, une mesure d’expulsion aura nécessairement pour conséquence de placer les intéressés, en raison de leur âge, des conditions dans lesquelles ils ont accompli leur périple jusqu’en France et de leurs conditions de vie depuis leur arrivée dans ce pays, dans une précarité encore plus grande en les contraignant à l’errance et en les privant de tous les soutiens et services dont ils ont pu bénéficier jusqu’à présent« . En conséquence, il a rejeté la demande d’expulsion.
Ce faisant, il a renvoyé les administrations à leurs responsabilités en invitant la métropole requérante à de se rapprocher de l’Etat, du Département du Nord et de la Ville de Lille afin de rechercher et de mettre en oeuvre, dès que possible et avant l’arrivée du froid, les mesures appropriées pour mettre fin à une situation contraire à la dignité de la personne humaine.
Le référé « mesures utiles » traditionnellement utilisé pour prononcer l’expulsion d’un occupant sans titre du domaine public est un outil de protection de l’intégrité du domaine public, principe garanti par le Code général de la propriété des personnes publiques. Mais, lorsqu’est en péril la dignité de la personne humaine, les considérations d’ordre matériel deviennent secondaires : l’Homme prévaut toujours sur la chose. C’est le principe simple mais intangible que vient de rappeler cette ordonnance.
Retrouvez l’ordonnance dans son texte intégral : ta_lille_ord-_1er_septembre_2016_metropole_europeenne_de_lille__ndeg_1606080